Terre de promission by Bruno Racine

Terre de promission by Bruno Racine

Auteur:Bruno Racine [Racine, Bruno]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782246372196
Éditeur: Grasset
Publié: 1986-03-04T23:00:00+00:00


XII

Il savait que ce chemin le mènerait droit à la Seine, mais il devait marcher à l'aveuglette. Tout était obscur à sa hauteur, et ce n'était qu'en levant les yeux qu'il pouvait deviner, sur le fond cendré du ciel, la masse plus sombre des toits et des cheminées. De temps à autre, au bruit d'une respiration rauque, il devinait une présence humaine très proche – sans doute des mendiants affalés au pied des portes cochères qui s'efforçaient de lutter contre le sommeil, de peur de ne plus jamais s'éveiller. La plupart finiraient cependant par céder bien avant l'approche de l'aube, dans ce combat perdu d'avance qu'ils s'apprêtaient pourtant à livrer désormais toutes les nuits, jusqu'au retour du printemps.

Des cris de nourrissons traversaient parfois le brouillard; dans l'intervalle, s'il tendait l'oreille, toute une rumeur confuse venait l'envelopper, échappée des fenêtres ou des soupiraux, serpentant depuis le fond des arrière-cours ou des soupentes, mais cette rumeur était imaginée autant que perçue – soupirs de malades ou d'amants, rires ou pleurs étouffés fondus tous ensemble, comme le bruit d'un corps qui sommeille près de soi.

C'était donc cela la nuit des hommes, avec sa paix douteuse qu'il avait fuie depuis si longtemps et presque oubliée : combien pouvaient-ils être, par toute la ville, ceux qui, étendus sur un lit, n'étaient pas plus en repos que lui, agités dans leurs rêves par le froid, la faim, toutes sortes de désir ou de détresse ?

Il voulut sortir au plus vite de ce défilé de maisons qui lui paraissait d'autant plus étroit qu'il le distinguait mal, déboucher enfin sur un grand espace libre, et il se mit presque à courir.

Il n'aurait pu dire combien de temps il avait marché ainsi, mais il se sentait hors d'haleine lorsqu'il parvint à l'entrée de la place de Grève. Là, autour de feux qui commençaient à mourir, des journaliers serrés les uns contre les autres, enroulés dans des couvertures de fortune, s'étaient endormis en grappes, et de loin, à travers le brouillard répandu sur la place, chacun de ces petits groupes dispersés semblait enfermé dans une sorte de nimbe.

Il longea la façade de l'hôtel de ville et s'approcha de la Seine, mais c'est au grondement du fleuve, grossi par les pluies des dernières semaines d'automne, qu'il sentit sa proximité, non aux flaques d'eau qui avaient envahi la place et dans lesquelles son pied s'était enfoncé à plusieurs reprises. Il resta quelque temps immobile, à écouter cette eau grise et sale dont Dieu seul savait ce qu'elle charriait, chargée de toutes les impuretés des villes qu'elle traversait sans jamais les purger, puis il reprit sa marche, obligé d'avancer avec précaution sur un sol marécageux, écrasant parfois les fragments de pavés décomposés que l'on avait depuis longtemps renoncé à remplacer.

La limite de la terre et du fleuve était devenue par endroits dangereusement incertaine car les eaux débordaient de leur domaine depuis plusieurs jours, baignant jusqu'aux ballots de grain gâté que les marchands abandonnaient devant les débarcadères du port au blé, providence d'une multitude de rats dont il devinait la présence à des clapotis trop rapides.



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